Introduction

Raison d'être de monbienetreavant.ca

La présente initiative est née à l'été 2019 lorsque j'accueille de nouveau des étudiants en médecine de l'université de Montréal pour compléter un projet de recherche qu'ils avaient débuté 2 ans plus tôt dans le cadre du programme SARROS. Il s'agit de Mme Liana Corber et de Mr Sharif Rifat Ahmed. En les côtoyant, je m'identifie à leur vécu et je me remémore mon état d'esprit durant mes études en médecine de 2002-2006 à l'Université d'Ottawa. Je découvre inévitablement leurs craintes et angoisses en tant qu'étudiants en médecine. Je comprends que leurs défis et la culture ils baignent présentement se développeront et se perpétueront probablement durant leur résidence et leur début de pratique puisqu'ils s'apparentent à mes propres préoccupations du moment.

Durant la même période, nous avons été bouleversés par le suicide d'un étudiant finissant en médecine de l'Université d'Ottawa. Nous décidions faire notre possible pour témoigner notre solidarité envers nos collègues et peut-être tenter de prévenir d'autres tragédies. Ce site est donc né de notre refus d'admettre notre impuissance devant une "culture d'études médicales" potentiellement néfaste et dont personne n'y peut rien. Cette culture propose une fatalité immuable: il faut simplement survivre la médecine, on en sortirait plus fort. Les expressions anglaises "man up" et "suck it up" proposées par mes jeunes collègues en formation illustrent mieux cette idée de cette inévitable souffrance à endurer pendant les études médicales.

L'idée spécifique de la création d'un site web pour aborder franchement ces difficultés et défis psychologiques communes chez les médecins et étudiants en médecine est, quant à elle, venue de notre constatation que les professionnels de la santé s'auto-stigmatisent encore plus que la population générale sur le sujet des troubles de santé mentale. Pour cette raison, ils accèdent donc moins aux services et aux soins offerts.

Nous avons estimé qu'un site web développé par et ou des médecins pouvait en partie soulager cette difficulté d'accès aux soins. Nous connaissons la nature des étudiants en médecine et des médecins: ils préfèrent être discrets sur leurs problèmes, ils peuvent craindre les conséquences du dévoilement de leur détresse sur leur droit de pratique la médecine ou sur leur réussite scolaire, ils ont parfois honte ou se sente coupable de n'être pas en santé alors qu'eux même soignent les autres, ils sont fiers et préfèreraient ne pas reconnaitre leur vulnérabilité ou l'avouer à quiconque...

Ce site web ne se substitue évidemment pas aux soins qui pourraient être offerts par des professionnels qualifiés. Le site permet seulement de conscientiser les médecins à ses difficultés psycho-socio-existentiels pour lesquelles ils cherchent des solutions. Il veut également encourager le médecin en détresse à prendre une pause pour réfléchir sur sa situation et initier un processus d'auto-soins. Si cette intervention n'est pas suffisante, il l'encourage à contacter un soignant et le prépare à une éventuelle rencontre. Ce site web se veut un premier soin non intimidant et extrêmement accessible.

Il y a de problèmes sans solutions. Cette idée est à la base de notre existence et de notre profession. Notre optimisme, notre persévérance et notre résilience en dépendent. Fatalisme et impuissance sont des cancers évitables à éradiquer. Comme une histoire de cas en médecine, décrivons ici le problème avant de proposer un plan de traitement.



Histoire de cas et diagnostics:

Une culture parfois pathologique


  • Culture du perfectionnisme, de l'intolérance à l'erreur, du déni de la vulnérabilité du médecin.

  • Culture de la critique menant à "l'auto-critique" (auto-dénigrement), au syndrome de l'imposteur et au sentiment d'insatisfaction continuelle: "je ne connais pas assez, je ne suis pas assez bon, je devrais étudier davantage..." renforcée par une culture de la compétition.

    • La vulnérabilité est perçue comme un signe d'imposture. "Je n'ai pas le droit d'être malade, de me sentir déprimé ou anxieux, d'avoir des doutes sur mes capacités et mes compétences...". Pour éviter d'être découvert dans son "imposture" et corrompre son identité "superhéros sauveur" ou risquer de compromettre sa carrière, l'étudiant cache sa souffrance et apprend à souffrir seul en secret. Ceci exacerbe son sentiment de désespoir et d'abandon. Un "false-self", c'est-à-dire arborer une identité et une façade incongruentes avec son réel vécu, se crée à l'insu de tous. En effet l'étudiant apprend qu'il lui est vital de tromper son entourage pour être bien perçu et réussir. Aussi ironique que cela est, révéler sa réelle vulnérabilité et sa souffrance équivaudrait à tromper et décevoir son entourage. Sa vulnérabilité doit rester secrète. Devant la pression sociale et une pression auto-imposée pour atteindre ses buts, paraitre devient plus important que être.

  • Culture de la comparaison et de la compétition alimentée par le présent système d'évaluation de la performance des étudiants par l'université, l'horizon de la compétition prochaine pour les postes contingentés en spécialités, mais aussi par l'enseignant qui croit que la souffrance durant les études en médecine est un passage utile et obligé. "Dans mon temps, je devais tout faire et que je ne me plaignais pas autant que les jeunes d'aujourd'hui..." ai-je pu entendre à plusieurs reprise durant ma formation. Une telle croyance ne peut qu'invalider l'expérience et les difficultés de l'étudiant.

  • Culture du superhéros sauveur, du sacrifice, du surpassement sans fin, de l'auto-discrimination de ses besoins pour satisfaire le bien commun. C'est la définition du déni de soi ou du "Mother Teresa Effect" dans le contexte du soignant. Cette façon d'être mène inévitablement à cette populaire "crainte de déplaire" présente chez toutes gens, mais particulièrement chez l'étudiant en médecine prêt à tout faire tant éviter de déplaire. Il craint de déplaire car il veut recevoir les bonnes grâces de son "patron" évaluateur. Il peut dépendre de ce dernier pour accéder à ses objectifs de carrière qu'il a souvent en ligne de mire avant même de débuter ses études en médecine. Ultimement le sentiment d'un interminable auto-sacrifice se transforme en amertume et en sentiment de victime.

  • Culture de l'indépendance/autonomie et du chacun pour soi:

    • L'indépendance permet un contrôle - notamment un contrôle de la qualité -, car en évitant de déléguer ce qu'on croit que les autres ne seraient pas capables de bien faire, on satisfait ses besoins en terme de perfectionnisme. Il s'agit là d'une "indépendance, d'une autonomie par choix". Une telle façon de penser et d'opérer nuit évidemment à la coopération, la flexibilité et au lâcher prise (l'acceptation de "ce qui ne semble pas être parfait"). Au contraire, elle attise un climat de méfiance, c'est-à-dire un climat où il n'y a pas de confiance. Sans coopération et ni confiance, il n'y pas pas de partage des tâches et s'ensuivent presque inévitablement le surmenage et l'épuisement. La médecine est une discipline minimalement interdisciplinaire sinon transdisciplinarité. Le chacun pour soi et la méfiance promeuvent des approches de soins inefficaces en silo.

    • Une "indépendance ou une autonomie imposée" existe aussi. Il est attendu que la médecin apprenne vite et devienne rapidement compétent. Tous les étudiants en médecine on entendu cet adage: "See one, do one, teach one". Puisqu'il y a une telle attente, la personne apprend à s'autoimposer une fulgurante voire impossible autonomie par crainte de décevoir ou de déranger son prochain. Autrement, la culpabilité de déranger s'installerait. Ainsi s'installe la culture de l'autonomie et de la critique à l'égard tous les autres qui ne réussiraient pas à respecter cette attente.

    • Le chacun pour soi émane de la méfiance, non pas par malfaisance, mais par ladite compétition. Pour se distinguer des autres étudiants contre qui l'un est en compétition, pour impressionner le patron évaluateur, les ressources d'études ne sont pas partagées et chacun veut conserver le crédit pour ses efforts. Le chacun pour soi va à l'encontre de la culture de la collaboration et de solidarité qui devrait exister dès le début des études en médecine.

  • Culture de la culpabilité existe puisque personne ne peut maintenir une telle identité du sauveur invulnérable à long terme. La personne se sent mal de n'avoir pas pu accomplir ses responsabilités telles que promises. Les média parfois impitoyables peuvent facilement renchérir sur cette culpabilité ne laissant peu de place à la compréhension et la compassion: « au salaire qu'on te paie! ». La médecin est particulièrement à risque de culpabilité puisqu'il a été entrainé à toujours bien faire et à ne commettre aucunes erreurs. Il risque de s'en vouloir dès les premières imperfections. Aussi rappelons que le médecin agit souvent en dernier recours, à la fin d'une lignée d'interventions infructueuses par la personne ou d'autres professionnels. Agissant en fin de parcours, le risque des mauvais résultats "outcome" est accru et il s'expose ainsi à plus de blâme, étant la dernière personne responsable de la santé de la personne.

  • Culture du déséquilibre et de l'absence de limites auto-imposées. "Puisque nos modèles, nos si estimés enseignants/patrons/mentors sont hyper-occupés, nous devrions aussi l'être" se disent les étudiants en médecine devant leurs fiers modèles. Or aucune personne qui se sacrifie à long terme n'est équilibrée. La santé n'existe pas sans équilibre.

  • Culture du médecin tout-puissant et du manque d'humilité, tant dans ses actions/interactions avec les patients et le personnel, mais aussi dans ses connaissances. Une personne qui croit tout savoir ne cherche plus à apprendre.

    • Cette "culture du médecin tout-puissant" est projetée sur le médecin par la société. En effet, les inévitables problèmes de santé causent souvent un sentiment d'impuissance et de désespoir chez la personne. C'est ainsi que nait le concept et le besoin "d'un sauveur" sur qui la personne peut investir (projeter) son espoir et sa confiance pour croire qu'elle pourra retrouver la santé et sa liberté.

    • Cette "culture du médecin tout-puissant" est ainsi adoptée par le médecin. Par contre, ce pouvoir du "promoteur d'espoir" devient aussi une responsabilité. Savoir qu'on est important, que les autres ont besoin ou dépendent de nous est flatteur au début, mais devient rapidement un fardeau lorsqu'on n'arrive plus à répondre aux demandes. Or la demande est illimitée en médecine...

    • La cuture de l'invulnérabilité promeut l'isolement. La personne craint de partager ses doutes quoique normales. Sa vulnérabilité devient un diagnostic, une faiblesse qu'il doit cacher. Nul n'osant afficher sa vulnérabilité, la personne a alors l'impression qu'il est le seul dans sa situation et se sent honteuse. L'isolement n'aide pas la personne à avoir un regard balancé sur sa situation et contribue à miner son estime d'elle-même. Pour palier à sa crainte d'être découvert dans son impression d'incompétence ou de vulnérabilité, la personne affiche un façade rassurante et garde ses doutes secrets. Le syndrome de l'imposteur nait secrètement ainsi.

    • Culture d'austérité émotionnelle et d'austérité dans la validation et le renforcement positif envers soi-même et envers les autres. Ce perfectionnisme attendu et inhérent à la profession médicale, mène nécessairement à ce sentiment d'insatisfaction continuelle. "Comment être fier de soi ou féliciter son prochain lorsque la perfection n'est jamais atteinte, lorsqu'on est constamment insatisfait?"

    • Difficulté de l'apprenant et des enseignants d'accepter le processus d'apprentissage:

    • que l'apprentissage prend du temps, qu'il se fait par étapes, que chaque étape nécessite un temps de maturation, une latence utile. On ne peut pas cuver un bon vin en accéléré;

    • que l'erreur est inévitable et est même indispensable à l'apprentissage;

    • Why is Failure important? Failure is an incredible learning experience.It teaches you humility and growth.It is the first step to understanding.It makes you realize the importance of success.It gives you a sense of direction.It gets rid of Fear.(Richard Feynman )

    • qu'il est impossible de "tout savoir " dès le début des études ou même à la fin de sa carrière. "Tout savoir" est impossible;

    • que "tout savoir" et avoir une confiance inébranlable n'est pas l'objectif. Au contraire, l'objectif est d'être autant confiant que humble dans son savoir. Autrement, l'ouverture d'esprit, la compréhension de l'autre, l'empathie, la compassion, la collaboration sont sacrifiés au profit de la critique et du clivage ("j'ai raison, ils ont tort").

C. M. Kuhn and E. M. Flanagan. 2017. Self-care as a professional imperative: physician burnout, depression, and suicide. Can J Anaesth, 64, 2, 158-168

Au delà de la culture, les autres influences internes et externes du mal-être chez les étudiants et résidents en médecine:


  • influences internes: sa propre culture (son perfectionnisme, son intolérance à l'incertitude, à l'erreur), son besoin de se prouver à soi-même et aux autres (sa vision de soi, son identité), sa capacité à gérer le stress et les imprévus, les circonstances normales ou exceptionnelles de la vie

  • influences externes: l'environnement, les conditions de travail, les attentes concrètes des autres et de la profession, le jugement et la critique des autres, la supervision/encadrement/soutien, la compétition

Le sujet a été amplement étudié. Voici un tableau sommaire:

L. Dyrbye and T. Shanafelt. 2016. A narrative review on burnout experienced by medical students and residents. Med Educ, 50, 1, 132-49

Histoire de monbienetreavant.ca

Ce site web est à sa 2e mouture depuis mai 2021 lorsque le site web et son équivalent anglophone (www.mywellnessfirst.ca) font l'objet d'une affiche scientifique au congrès annuel de l'Association des médecins psychiatres du Québec (AMPQ). Il fut initialement inaugurée à l'été 2019, étonnamment avant qu'on ne se soucie de la pandémie à venir. Le site web demeure toujours en construction, les idées s'y entassent et s'y organisent petit à petit.

Initialement le site web mettait de l'avant ce schéma intégrateur des principales difficultés rencontrées par les étudiants en médecine durant leurs études. Nous nous sommes aperçu qu'il négligeait les aspects philosophiques et existentiels (notamment la notion du sens et de l'engagement dans une mission plus grande que notre propre existence) primordiaux à notre vécu. Ces enjeux sont à la source de beaucoup de préoccupations chez les médecins et étudiants en médecine. L'image n'est donc plus utilisée et depuis le contenu du site est organisé différemment.

Nous sollicitions toujours la contribution des médecins et d'étudiants engagés et autant soucieux de leur bien-être que de celui de leurs collègues. Écrivez-nous si vous êtes intéressés. Notre espoir est de créer une communauté de pratique dédiée sur le mieux-être des soignants.


(désuet) Modèle des principaux besoins exprimés par les étudiants en médecine.